La loyauté n’est pas biologique

La loyauté n’est pas biologique

La loyauté n’est pas biologique 1920 1080 Centre de recherche sur le Congo-Kinshasa

Par Jean-Pierre Mbelu | Télécharger la version PDF
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La filiation, l’enracinement et l’appartenance à un pays sont facilités biologiquement par la rencontre d’un père et d’une mère qui en sont originaires. Mais cette facilitation a besoin de « l’oraliture » (mythes, contes, proverbes, fables, noms de force ( men’ a bukole) ) et de la littérature historique et humanisante nécessaires à la production d’un imaginaire collectif et des »montages normatifs » indispensables à la loyauté filiale (patriotique) et à un enracinement en conscience. Pour dire les choses autrement, le biologique peut participer de l’épanouissement originaire de la loyauté. Il en est un élément nécessaire ; mais pas suffisant. Pourquoi ?

Parce que la fidélité à son pays, la droiture et l’honnêteté dans la participation à son émancipation, bref, la loyauté à l’endroit de son pays, relève beaucoup plus de la culture que de la nature (biologique). Si les natifs d’un pays peuvent lui être loyaux, être natif d’un pays ne suffit pas pour lui être loyal. Définir les conditions de possibilité de l’exercice de cette loyauté, les consigner dans un texte collectivement partagé, régulièrement étudié et évalué est plus qu’indispensable. Bref, la loyauté est une valeur. Les valeurs peuvent être héritées par l’apprentissage en famille, à l’école et à l’université. Elle peut être d’adoption.

Codes biologiques et codes humanisants

Donc, traiter de la question de la loyauté passe par une approche info-formée de la valeur. « Une valeur, en effet, (qu’il s’agisse de l’honneur, de l’amitié, du devoir, de la compassion, du dévouement à une œuvre ou à une communauté et, d’une façon générale, de toute forme de solidarité ou de civilité) est , par définition, ce au nom de quoi un sujet peut décider, quand les circonstances l’exigent, de sacrifier tout ou une partie de ses intérêts, voire, dans certaines conditions, sa vie elle-même. En d’autres termes, la disposition de l’homme au sacrifice, au renoncement ou au don, est la condition majeure sous laquelle il peut conférer du sens à sa propre vie, autrement définie par les seuls codes de la biologie. » En matière des valeurs, les codes biologiques ont besoin d’être portés par « les codes humanisants » dont la particularité culturelle est liée à l’enracinement dans une terre particulière.

Comme on sait, par ailleurs, qu’à la différence de l’animal, « l’homme ne naît pas en portant en lui le sens défini de sa vie », on doit nécessairement en conclure qu’une société humaine n’est possible là où n’ont pas été imaginé et institué « les montages normatifs grâce auxquels les sujets des générations successives parviennent au statut humains. »»

Imaginer et instituer les montages normatifs « est un objectif politique majeur. Fondamentalement, la politique entendue comme facilitatrice du « vivre ensemble » et du « faire société » doit pouvoir produire ce que George Orwell dénommait la common decency, « c’est-à-dire cet ensemble de dispositions à la bienveillance et à la droiture qui constitue selon lui l’indispensable infrastructure morale de toute société juste (…).»

Donc, avoir des politiques éprises du désir permanent d’imaginer et d’instituer la common decency au Kongo-Kinshasa est une des conditions de possibilité de la pratique de la loyauté. Ces politiques passent par la refondation et la promotion de la famille, de l’école et de l’université.

La loyauté est tributaire de la souveraineté réelle d’un pays

Inscrire le principe de la loyauté dans un texte collectivement partagé sans une compréhension préalable de son bien-fondé au niveau de la famille, de l’école et de l’université peut être une façon de mettre la charrue avant les bœufs. Surtout dans un pays où la corruption, le marionnettisme, le larbinisme, l’assujettissement et le proxyisme ont élu domicile comme au Kongo-Kinshasa. Ici, la pratique politicarde et le triomphe de la culture néolibérale de l’intérêt égoïste, du mépris de la vie et de la mort sapent des appels de bonnes intentions à l’institution de la loyauté comme principe moteur de la gestion des fonctions régaliennes. Le fétichisme constitutionnel n’y peut rien. Donc, inscrire ce principe dans une constitution -créée sur mesure- sans une préalable moralisation de la vie politique et sociétale peut se révéler inutile.

Donc, la moralisation de la pratique politique et de la vie sociale est une autre condition indispensable à la pratique de la loyauté. Comment peut-il être possible de parler de loyauté dans un pays où les postes politiques dits régaliens sont gérés par les larbins et les proxys des »maîtres de l’humanité » ? Renverser la pyramide hiérarchique afin que le peuple devienne réellement souverain, s’organise pour choisir politiquement les représentants de ses véritables intérêts en leur imposant un mandat impératif et en pratiquant en permanence le principe de subsidiarité est aussi une autre condition de possibilité de la pratique de la loyauté. En d’autres termes, la loyauté est tributaire de la souveraineté réelle d’un pays.

Cela étant, elle peut avoir »ses ascètes du provisoire ». C’est-à-dire ces minorités organisées et éveillées disposées, à temps et à contretemps, à la lutte, au sacrifice, au renoncement et au don de soi (avant et) afin qu’advienne un pays réellement souverain. Ils jouent, au coeur des collectifs citoyens, le rôle du levain dans la pâte.

Dans un pays où la majorité de compatriotes répètent qu’entre les Etats il n’y a pas d’amitié, il n’y a que des intérêts sans passer un seul instant cette phrase au crible de la critique, il est difficile d’instituer un imaginaire collectif dominé par la « common decency ». La culture néolibérale mortifère a majoritairement déstructuré l’humain kongolais au point de le pousser à croire que la droiture, l’honnêteté, l’amitié, la solidarité, la compassion, le sens du devoir, la civilité, etc. sont des vains mots. Elle l’a dé-civilisé. Sa re-civilisation exige une « re-conversion » au « code authentiquement kongolais » bomotoïsant. La tendance à croire que la seule promotion de l’entreprenariat réussira à sortir le pays du gouffre sans ce »code » participe d’un matérialisme stérile se moquant de la force des idées pour la refondation du Kongo-Kinshasa.

Centre de Recherche sur le Congo-Kinshasa

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